LES WASHINGTON REDSKINS®, AUNT JEMIMA®, UNCLE BEN’S®, ESKIMO PIE® : Ces marques notoires qu’on ne tolère plus!

Après des décennies de critiques en raison du fait que certaines marques perpétuaient des stéréotypes raciaux, les propriétaires de ces marques quasi iconiques ont récemment annoncé qu’ils apporteraient ou envisageaient d’apporter des changements importants à celles-ci, voire même les changer complètement. 

Notamment :

Washington Redskins® (équipe de football américain et produits dérivés)[i]

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Aunt Jemima® (notamment pour mélanges pour crêpes et sirop) [ii]

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Uncle Ben’s® (notamment pour du riz)[iii]

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Eskimo pie® (friandises de crème glacée)[iv]

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Il faut se rappeler que ces marques notoires ont chacune une valeur marchande de plusieurs dizaines ou plus de millions de dollars. On imagine bien que ce n’est pas avec gaieté de cœur que ces entreprises agissent de la sorte! Il est assez certain que c’est la vigueur inouïe du mouvement « Black Lives Matter », issu de l’assassinat criminel de George Floyd dans la ville de Minneapolis aux États-Unis, qui aurait finalement forcé la main de ces entreprises qui, depuis plusieurs années déjà, sentaient une pression d’agir. Dans au moins un cas (les REDSKINS) une source importante de cette pression venait de commanditaires subissant eux aussi une pression énorme du public[i].

QUESTIONS JURIDIQUES

Existe-t-il un recours juridique pour forcer le propriétaire d'une marque préjudiciable en terme racial à cesser de l'utiliser ou de la changer? La liberté d'expression au Canada est protégée en tant que « liberté fondamentale » par l'article 2 de la Charte canadienne des droits et libertés. La Charte permet également au gouvernement d'imposer des limites « raisonnables » telles que le discours de haine, l'obscénité et la diffamation en tant que catégories de discours restreint au Canada. Le discours de haine peut être défini comme « un discours public qui exprime de la haine ou encourage la violence envers une personne ou un groupe sur la base de quelque chose comme la race. On pense également qu'il comprend des communications d'animosité ou de dénigrement d'un individu ou d'un groupe en raison d'une caractéristique du groupe telles que la race, la couleur ou l'origine nationale. Sur ce point, signalons que le Code criminel contient une disposition contre les crimes de discours de haine (art. 319). Quant au mot « obscène », il est généralement défini comme quelque chose d'offensant ou de dégoûtant selon les normes de moralité reconnue ou de décence ou qui est offensants pour les sens.

Par conséquent, serait-il possible d'affirmer que le terme « REDSKINS » (Peaux-Rouges) est ou est devenu obscène au regard des normes sociales et morales actuelles?

La question peut également se poser dans en droit des marques. L'alinéa 9 (1) j) de la Loi sur les marques de commerce du Canada interdit l'adoption de toute marque de commerce consistant en un mot ou un dispositif scandaleux, obscène ou immoral, ou se rapprochant de ce point de façon à être susceptible d'être confondu avec lui. Lors de l'examen d'une marque de commerce au regard de l'alinéa 9 (1) j), les examinateurs canadiens de marques de commerce peuvent être guidés par les éléments suivants:

  • Un mot ou un dessin est scandaleux lorsqu’il offense le sens des convenances ou de la moralité de la population ou de personnes en particulier, lorsqu’il porte atteinte à une nationalité ou encore lorsqu’il est généralement perçu comme offensant. Le terme est généralement défini comme causant un scandale, provoquant une grande indignation dans le public, par son mauvais exemple.

    Un mot est obscène lorsqu’il dépasse les limites du langage courant ou lorsqu’il est tabou selon les codes de politesse. Le terme « obscène » est généralement défini comme blessant la délicatesse par des représentations ou des manifestations grossières de la sexualité.

  • Un mot ou un dessin est immoral lorsqu’il entre en conflit avec les principes moraux courants ou traditionnels. Le terme est généralement défini comme contraire à la morale, aux bonnes mœurs.

Pour déterminer si une marque de commerce est scandaleuse, obscène ou immorale, l'examinateur doit juger si la marque de commerce offenserait les sentiments ou la sensibilité d'une partie importante de la population.

Dans la décision de Miss Universe, Inc. c. Bohna (1991) 36 C.P.R. (3e) 76 (C.O.M.C.) [confirmé par (1992) 43 C.P.R. (3e) 462 (C.F.), puis infirmé pour cause de confusion par (1994), 58 C.P.R. (3e) 381 (C.A.F.)] le juge indique, à la page 82 de la décision :

[Traduction] Je dois dire que présentement, nous vivons dans ce qui est généralement appelé une ‘période permissive’ où les normes de moralité acceptées dans le passé sont en train de changer. La difficulté est de déterminer ce que sont les normes de moralité acceptables aujourd’hui et ce qui serait toujours considéré immoral, scandaleux ou obscène pour certaines personnes, qui ne sont pas rares.

Même si on ne dit pas spécifiquement « non négligeable », la mention « qui ne sont pas rare » sous-entend la même idée.

Par conséquent, ne pourrait-on pas soutenir que le mot « REDSKINS » (Peaux rouges) est ou est devenu scandaleux, obscène ou immoral au sens de l'alinéa 9(1)(j) de la L.M.C. au Canada ?

Bien que ces questions d'ordre juridique sont intéressantes, il reste que c’est bel et bien la perception qu’on les consommateurs d'une marque qui est la principale force derrière le changement des marques notoires nommées ci-haut.

MARQUES FUTURES

Par quoi c’est marques notoires seront-elles remplacées? Difficile de dire à l’heure actuelle. Ce qui est certain, c’est que les coûts seront substantiels afin d’assurer une transition efficace. Imaginez : 1) il faut choisir une nouvelle marque attirante; 2) laquelle doit être disponible en ce qu’elle ne porte pas à confusion avec d’autres marques existantes; 3) s’assurer le nom de domaine est disponible; 4) effectuer l’enregistrement de la marque dans tous les pays où sont vendues les marchandises en question; et 5) engager des frais énormes de publicité et de marketing.

Ceci est un rappel aux entreprises qui possèdent des marques de commerce ou qui envisagent d’adopter de nouvelles marques avec une vision de l’avenir, d’orienter leurs choix vers des marques qui sont respectueuses des revendications sociales et morales exprimées par le public.

SOURCES:

[i] https://www.washingtonpost.com/sports/2020/07/13/redskins-change-name-announcement/

[ii] https://www.cnn.com/2020/06/17/business/aunt-jemima-logo-change/index.html

[iii] https://www.msn.com/en-us/news/us/uncle-bens-changing-logo-away-from-racist-imagery/ar-BB15CPTr

[iv] https://www.cbsnews.com/news/dreyers-retires-derogatory-eskimo-pie-name-99-years/

[v] https://www.washingtonpost.com/local/corporate-money-black-lives-matter-protests-and-elites-opinion-drive-redskins-name-change/2020/07/12/6103a6de-c2c6-11ea-b178-bb7b05b94af1_story.html